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Paris / New York
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Jean Dubuffet and Allan McCollum
Du 16/05/2024
au 28/07/2024

 

L’idée de mettre en parallèles un ensemble de travaux de Jean Dubuffet et d’Allan McCollum m’a semblé saugrenue. Je ne voyais rien qui puisse établir quelque rapprochement, si ce n’était le dessein, cette fois encore, d’apprendre à nous garder des rapprochements. Il faut dire que les deux artistes n’ont à mon humble avis, pas grand-chose en commun. Pas plus leurs origines réciproques, pas davantage leurs cultures, sans doute pas les intentions, même si je me suis d’emblée escrimé à voir dans le goût de la dénonciation de « l’asphyxiante culture » de l’un, une possible analogie avec la dénonciation des conventions artistiques de l’autre. Bref, j’ai cherché et tordu le cou à mes préjugés. La belle exposition que voici en vaut bien la peine.

Deux générations séparent nos artistes. Au sortir de la guerre, l’un s’attaque farouchement à la culture dominante d’alors. Il fait table rase des savoirs enseignés et « se déconditionne ». Il cherche et recherche. Dès les années 1950, il maçonne la surface de ses tableaux et crée des reliefs accidentés. C’est la série des Sols et Terrains, celle aussi des Paysages mentaux.
L’autre étudie à la Technical School de Los Angeles et développe ses premières œuvres au début des années 1970, dans le contexte d’une Amérique gagnée à la production de masse. Son travail prend naissance dans la mouvance de l’esthétique sérielle et minimaliste mais « l’artiste new-yorkais agit aussi en parfait légataire de la critique institutionnelle, puisqu’il invente des dispositifs visant à soustraire l’œuvre à sa rareté programmée, et à questionner la convention de son unicité ». Deux chemins différents, deux parcours que rien n’autorise à vouloir rapprocher.

Mais l’œil a ses raisons qui vient ici semer le trouble. En deçà du visible, la conscience imageante prend le pas. Quelque chose de ce que j’appellerai, en me remémorant Oswald Spengler, une « pseudomorphose » et que contredit André Malraux en écrivant après Walter Benjamin que « Toute œuvre d’art survivante est amputée, et d’abord de son temps » m’engage à la prudence. Car la méthode à laquelle invite cette exposition est avant tout sensible et n’est pas naïvement comparative puisqu’au-delà des points communs que je veux détecter, elle répond d’abord à l’arbitraire de celui qui a imaginé ce projet. A quoi bon comparer dès lors qu’on admet les deux projets comme incomparables, si ce n’est cependant qu’il existe en tout œuvre une dimension si ténue soit-elle, qui vient au-delà de l’intention de l’auteur et qui n’appartient qu’à celui qui s’en fait le porteur ?

Car lorsque nous comparons – David Fleiss, vous, moi ou quiconque, nous inventons et acceptons que les œuvres en question nous y invitent. Dans le désir de comparer se cache indubitablement un exercice d’admiration. Bien-sûr, je vois déjà les grincheux. Qui y a-t-il de fondé à rapprocher les  « Topographies », « Texturologies », « Matériologies et autres « Aires et sites », fruits de « recherches de terrains » que Dubuffet réalise entre la fin des années 1950 et 1961 des Perpetual Photographs qu’Allan McCollum capture non sans facétie de l’écran télévisuel quelque quinze ans plus tard, si ce n’est de se laisser aller à reconnaitre dans le travail de l’un et de l’autre, sans doute des intentions semblables : le goût des expérimentations les plus rudimentaires comme les plus sophistiquées, le goût de l’érosion de la notion d’œuvre d’art dans son acception commune, l’un en triturant la pâte et l’autre en triturant l’écran : deux manières de faire face et d’en découdre avec les images.

Bernard Blistène, Perceptions : Jean Dubuffet et Allan McCollum, 2024

New York, Galerie 1900-2000
Dubuffet McCollum 2024